2017 : Non, Voltaire, rien n'a changé

Publié le par Océ

 "La Parabole des aveugles".

"La Parabole des aveugles".

  •     Renaissance  :  le tableau réalisé en 1568 par Pieter Bruegel l'Ancien aurait été inspiré par une parabole du Christ adressée aux Pharisiens : « Laissez-les. Ce sont des aveugles qui guident des aveugles. Or, si un aveugle guide un aveugle, ils tomberont tous deux dans la fosse.» (Mt 15,14 ; Lc 6,39).

    Pour retrouver l'image en grand écran :

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/d0/Pieter_Bruegel_d._%C3%84._025.jpg

  •     1766, en plein  "siècle des lumières", Voltaire fait paraître un conte philosophique très court sous le titre a priori  banal, " Petite Digression", mais en réalité une très jolie antiphrase.

       Le texte intégral :    "Petite Digression"

        "Dans les commencements de la fondation des Quinze-Vingts, on sait qu’ils étaient tous égaux, et que leurs petites affaires se décidaient à la pluralité des voix. Ils distinguaient parfaitement au toucher la monnaie de cuivre de celle d’argent ; aucun d’eux ne prit jamais du vin de Brie pour du vin de Bourgogne. Leur odorat était plus fin que celui de leurs voisins qui avaient deux yeux. Ils raisonnèrent parfaitement sur les quatre sens, c’est-à-dire qu’ils en connurent tout ce qu’il est permis d’en savoir ; et ils vécurent paisibles et fortunés autant que les Quinze-Vingts peuvent l’être. Malheureusement un de leurs professeurs prétendit avoir des notions claires sur le sens de la vue ; il se fit écouter, il intrigua, il forma des enthousiastes : enfin on le reconnut pour le chef de la communauté. Il se mit à juger souverainement des couleurs, et tout fut perdu.

        Ce premier dictateur des Quinze-Vingts se forma d’abord un petit conseil, avec lequel il se rendit le maître de toutes les aumônes. Par ce moyen personne n’osa lui résister. Il décida que tous les habits des Quinze-Vingts étaient blancs : les aveugles le crurent ; ils ne parlaient que de leurs beaux habits blancs, quoiqu’il n’y en eût pas un seul de cette couleur. Tout le monde se moqua d’eux, ils allèrent se plaindre au dictateur, qui les reçut fort mal ; il les traita de novateurs, d’esprits forts, de rebelles, qui se laissaient séduire par les opinions erronées de ceux qui avaient des yeux, et qui osaient douter de l’infaillibilité de leur maître. Cette querelle forma deux partis. Le dictateur, pour les apaiser, rendit un arrêt par lequel tous leurs habits étaient rouges. Il n’y avait pas un habit rouge aux Quinze-Vingts. On se moqua d’eux plus que jamais. Nouvelles plaintes de la part de la communauté. Le dictateur entra en fureur, les autres aveugles aussi : on se battit longtemps, et la concorde ne fut rétablie que lorsqu’il fut permis à tous les Quinze-Vingts de suspendre leur jugement sur la couleur de leurs habits.

         Un sourd, en lisant cette petite histoire, avoua que les aveugles avaient eu tort de juger des couleurs ; mais, il resta ferme dans l’opinion qu’il n’appartient qu’aux sourds de juger de la musique."

 1797 « Le sommeil de la raison engendre des monstres » (Goya)

1797 « Le sommeil de la raison engendre des monstres » (Goya)

   Au lecteur de 2017 de voir la permanence  de nos comportements.  Tout rapprochement avec le phénomène de radicalisation, la vogue des théories du complot...ne saurait être fortuit.

  Quelques  autres pistes de relecture :

  •   politique : comment passer tranquillement (ou presque) d’un régime démocratique à celui de tyrannie et de l’arbitraire
  •   société :  comment fonder une secte et s’approprier les richesses et s’assurer la fortune et la fidélité d’une clientèle.
  •   moeurs  : comment passe-t-on d’un bonheur paradisiaque à l’agitation perturbatrice même si, à l’origine, seule la vue fait défaut... comme manquait la connaissance à Adam et Eve.
  •   littérature : l’utilisation de l’ironie pessimiste pour lutter contre les méfaits du dogmatisme et se moquer de la recherche de l'homme providentiel.
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