Elections en Turquie et rêve d'éternité

Publié le par Océ

Michel Bouquet, Bérenger 1er  dans "Le Roi se meurt".
Michel Bouquet, Bérenger 1er  dans "Le Roi se meurt".

Michel Bouquet, Bérenger 1er dans "Le Roi se meurt".

    Comment maintenir son pouvoir sur la Turquie et continuer à caresser le rêve de la reconstitution de l'empire ottoman ? En ce dimanche 24 juin 2018, c'est là que réside tout l'enjeu personnel pour Recep Tayyip Erdogan. Au fil des ans et surtout  à la suite d'un coup d'état durement écrasé, le président a cru avoir consolidé sa domination sur son pays.

    Néanmoins, les informations permettent de penser que la situation vacille et menace tous ses rêves de grandeur. Après la Roumanie de Ceaucescu la République de Cuba de Fidel Castro, cette actualité politique invite à regarder la situation  d'un autocrate qui n'est pas sans rappeler la pièce d'Eugène Ionesco, Le Roi se meurt.

    Quelle est  la trame de cette œuvre créée en 1962 ?  une réflexion sur la condition de l'homme qui,  pendant longtemps, refuse de penser à sa propre mort en utilisant toutes les formes du divertissement au sens pascalien du mot. Mais le royaume multiplie les signaux d'alerte : tout commence à se dégrader autour de Bérenger 1er, jusqu'à son pouvoir et sa santé. Le Roi refuse d'écouter et balaie tous les avertissements.

   "Qu'est-ce qu'un homme dans l'infini ?" (Pascal)

   Lorsque Bérenger 1er comprend que ses jours sont comptés et  que son entourage est en train de tourner la page de son règne, il se révolte. On ne peut que s'attarder sur une de ses dernières grandes tirades qui développe une vision autant dérisoire que révoltante du dépassement de sa mort.

"Le Roi – Sans moi, sans moi. Ils vont rire, ils vont bouffer, ils vont danser sur ma tombe. Je n’aurai jamais existé. Ah, qu’on se souvienne de moi. Que l’on pleure, que l’on désespère. Que l’on perpétue ma mémoire dans tous les manuels d’histoire. Que tout le monde connaisse ma vie par cœur. Que tous la revivent. Que les écoliers et les savants n’aient pas d’autre sujet d’étude que moi, mon royaume, mes exploits. Qu’on brûle tous les autres livres, qu’on détruise toutes les statues, qu’on mette la mienne sur toutes les places publiques. Mon image dans tous les ministères, dans les bureaux de toutes les sous-préfectures, chez les contrôleurs fiscaux, dans les hôpitaux. Qu’on donne mon nom à tous les avions, à tous les vaisseaux, aux voitures à bras et à vapeur. Que tous les autres rois, les guerriers, les poètes, les ténors, les philosophes soient oubliés et qu’il n’y ait plus que moi dans toutes les consciences. Un seul nom de baptême, un seul nom de famille pour tout le monde. Que l’on apprenne à lire en épelant mon nom : B-é-Bé, Bérenger. Que je sois sur les icônes, que je sois sur les millions de croix dans toutes les églises. Que l’on dise des messes pour moi, que je sois l’hostie. Que toutes les fenêtres éclairées aient la couleur et la forme de mes yeux, que les fleuves dessinent dans les plaines le profil de mon visage ! Que l’on m’appelle éternellement, qu’on me supplie, que l’on m’implore."

Publié dans Société, Littérature

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