Vive la plouquie, à bas le territoire !...
Ouverture du Salon International de l'Agriculture, en plein Paris. Veaux, vaches, cochons, couvée... ou le monde agricole tel qu'en lui-même, avec ses richesses, ses difficultés, ses drames et son évolution. Comme tous les ans, le visiteur va s'extasier sur les bêtes sélectionnées, s'attendrir sur les agneaux et les enfants, découvrir que le lait ne sort pas que des briques Tetra ou autres bouteilles en plastique.
Et tout cela sera très bien, très très bien, loin de la petite ferme de mes grands-parents, loin de la ferme du Nord que tient Sébastien, seul, entre des laitières richement nourries par ses propres cultures mais au lait de moins en moins payé comme partout.
Tout le monde sera content : les visiteurs, les gagnants des prix, les candidats aux élections... Mais voici quelques jours, une agricultrice des Côtes d'Armor a mis fin à ses jours. Encore une. Les chiffres de 2016 parlent d'un suicide tous les deux jours.
- Cette diablesse de sémantique
Maintenant que l'on parle de fermes de 1 000 vaches, de tracteurs avec ordinateur et climatisation, l'odeur de terre, de paille et de fumier renvoie à un passé lointain, recomposé une fois par an dans un univers domestiqué : la ville, pardon, la capitale, la publicité, les politiques, la foule, les lumières...
Plus question de dire plouc, ce terme péjoratif en déshérence ainsi que les synonymes que lui donne le CNTRL (Centre national de ressources textuelles et lexicales). Pour rappel, la définition donnée est la suivante : "Fam. ou pop., péj. [Souvent en terme d'injure] Paysan; p.ext., personne rustre, qui manque de savoir-vivre. Synon. péj. bouseux (pop.), cul-terreux (fam.), péquenot (fam., pop.), pedzouille (pop.), rustaud, rustre." D'ailleurs, depuis longtemps, le terme englobait des humains nés libres et égaux en droit comme tous les autres mais d'une autre catégorie. Un peu comme les " légumes moches" face aux productions des champs louchement survitaminés.
Quant à la plouquie, domaine plus ou moins grand, surtout quand l'on s'éloigne de Paris... c'est aussi un terme qui semble disparaître. Qu'est-ce ? lire un fort joli billet à l'adresse suivante :
- La fragmentation de la société
Autrefois, au-delà du périphérique, commençait la province. Comme la charge du mot, devenu plus péjoratif qu'informatif, l'a rendu politiquement incorrect, le mot province a été évacué au profit de celui de région. Ah ! Une pensée pour les refrains du genre "quel temps prévu en région aujourd'hui ? ", pour France 3 et ses régions, le Tour de France qui passe partout ailleurs ( Suisse, Belgique...) mais admire le régional de l'étape...
Passons vite puisque le mot "région" paraît maintenant...dépassé ;). Depuis des mois, on assiste au triomphe du "territoire". Vivons-nous sur ou dans un territoire ? c'est assez flou et fort variable mais territoire(s) il y a.
Est-ce donc à une déformation de l'esprit, à un manque de culture que l'on doit de ressentir un malaise ? Quelques recherches rapides font apparaître des considérations très savantes sur le mot. Géographe, historien, sociologue, économiste... chacun offre son explication technique. Pourtant, quand on prononce le nom territoire, pourquoi des images venues de documentaires très spécialisés font-elles surgir des loups, des chacals ou des castors même sympas ? Pourquoi la résurgence des clichés usés par les titres de faits-divers qui mentionnent les guerres de territoire entre dealers ?
Le substantif zone a été mis à toutes les sauces ( ZUP, ZAC, ZAD), province et région sont des noms démodés, territoire plus dans le vent que la moindre éolienne est appelé à disparaître par usure ou contestation. Que dira-t- on à la place ?
A tout prendre, plouquie a l'avantage de l'auto-dérision et impose une racine a priori bretonne (le "plou" ou "paroisse", subdivision religieuse parallèle au canton) qui survit sur les panneaux des communes. Maigre satisfaction.