Une grande conscience disparaît

Publié le par Océ

 Madame Veil, un combat pour les femmes et pour l'humanité.

Madame Veil, un combat pour les femmes et pour l'humanité.

    Les Enfers, l'Enfer, dans les récits antiques, ce sont toujours  de superbes récits dans lesquels ce sont des hommes qui reviennent. Orphée y retrouve son épouse Eurydice, Enée descend consulter la Sibylle puis  y rencontre son père Anchise (Enéide, VI), Thésée y reste prisonnier jusqu'à l'intervention d'Héraclès.

    Pour Simone Veil et tant d'autres, les Enfers ne seront pas un espace créé dans des récits fabuleux ou peints sur des vitraux d'église, des enluminures, des toiles de J Bosch. Pas plus une épopée héroïque. Non, un jour, avec toute sa famille, elle sera arrachée au bonheur paisible d'une vie d'adolescente heureuse et protégée pour être jetée dans le camp d'Auschwitz.

     Revenue à la vie dans un monde plus apaisée, elle gardera  son regard lumineux malgré le poids des ans et l'expérience de l'inhumanité absolue aussi ineffaçable que le tatouage de son poignet et la gravure sur son épée d'académicienne.

    Certains n'attendront sans doute pas demain pour évoquer  sa part dans la lutte pour / contre la possibilité pour une femme  d'avorter en oubliant tous les drames humains provoqués par les faiseuses d'anges  et les grossesses non désirées. 

      Son calme et sa dignité associées à sa grande culture et son intelligence la placent définitivement parmi les modèles d'éthique.

___________

    Autre survivant des camps de la mort, Primo Levi raconte cette arrivée au camp  en reliant l'Antiquité gréco-romaine et le XXème siècle pour le malheur du monde. Voici ce qu'il écrit dans le 1er chapitre de Si c'est un homme :

 "Et brusquement ce fut le dénouement. La portière s'ouvrit avec fracas ; l'obscurité retentit d'ordres hurlés dans une langue étrangère, et de ces aboiements barbares naturels aux Allemands quand ils commandent, et qui semblent libérer une hargne séculaire. Nous découvrîmes un large quai, éclairé par des projecteurs. Un peu plus loin, une file de camions.

   Puis tout se tut à nouveau. Quelqu'un traduisit les ordres : il fallait descendre avec les bagages et les déposer le long du train. En un instant, le quai fourmillait d'ombres ; mais nous avions peur de rompre le silence, et tous s'affairaient autour des bagages, se cherchaient, s'interpellaient, mais timidement, à mi-voix.

   Une dizaine de SS, plantés sur leurs jambes écartées, se tenaient à distance, l'air indifférent. À un moment donné, ils s'approchèrent, et sans élever la voix, le visage impassible, ils se mirent à interroger certains d'entre nous en les prenant à part, rapidement : « Quel âge ? En bonne santé ou malade ? » et selon la réponse, ils nous indiquaient deux directions différentes.

   Tout baignait dans un silence d'aquarium, de scène vue en rêve. Là où nous nous attendions à quelque chose de terrible, d'apocalyptique, nous trouvions, apparemment, de simples agents de police. C'était à la fois déconcertant et désarmant. Quelqu'un osa s'inquiéter des bagages : ils lui dirent : « bagages, après » ; un autre ne voulait pas quitter sa femme : ils lui dirent « après, de nouveau ensemble » ; beaucoup de mères refusaient de se séparer de leurs enfants : ils leur dirent «bon, bon, rester avec enfants ». Sans jamais se départir de la tranquille assurance de qui ne fait qu'accomplir son travail de tous les jours ; mais comme Renzo s'attardait un peu trop à dire adieu à Francesca, sa fiancée, d'un seul coup en pleine figure ils l'envoyèrent rouler à terre : c'était leur travail de tous les jours.

   En moins de dix minutes, je me trouvai faire partie du groupe des hommes valides. Ce qu'il advint des autres, femmes, enfants, vieillards, il nous fut impossible alors de le savoir : la nuit les engloutit, purement et simplement. Aujourd'hui pourtant, nous savons que ce tri rapide et sommaire avait servi à juger si nous étions capables ou non de travailler utilement pour le Reich ; nous savons que les camps de Buna-Monowitz et de Birkenau n'accueillirent respectivement que quatre-vingt-seize hommes et vingt-neuf femmes de notre convoi et que deux jours plus tard il ne restait de tous les autres - plus de cinq cents - aucun survivant.[...]

  Ainsi mourut la petite Emilia, âgée de trois ans, tant était évidente aux yeux des Allemands la nécessité historique de mettre à mort les enfants des Juifs. Emilia, fille de l'ingénieur Aldo Levi de Milan, une enfant curieuse, ambitieuse, gaie, intelligente, à laquelle ses parents, au cours du voyage dans le wagon bondé, avaient réussi à faire prendre un bain dans une bassine de zinc, avec de l'eau tiède qu'un mécanicien allemand « dégénéré » avait consenti à prélever sur la réserve de la locomotive qui nous entraînait tous vers la mort.
"

    Plus loin, Primo Levi raconte comment leur garde, "notre Charon", les escorte dans un camion   en essayant de leur extorquer l'obole classique (argent, montre...).

   Le parallèle Antiquité / XXème siècle s'arrête là puisque Charon transportait les âmes des morts et que le train et le camion  modernes transportaient des vivants  destinés à être tués à plus ou moins court terme.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article