A la recherche de l'intérêt commun

Publié le par Océ

   Relire une fable qui offre une réflexion sur les comportements humains permanents est un bon moyen de marquer une pause surtout lorsque tout semble s'accélérer autour de soi.

   Le texte proposé aujourd'hui  est donné en intégralité malgré sa longueur. Il est très représentatif  du XVIIème avec un   fabuliste courtisan qui fait l'éloge du pouvoir royal renforcé, centralisé, exagérément enrichi face à des sujets qui, à l'époque, ignoraient tout des prestations sociales, de la sécurité sociale et des indemnités chômage.

    Comme toujours, on choisira de voir la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine et on pensera  à des exemples très actuels, celui des Brexiters souhaitant se séparer de l'Union européenne, du "peuple" contre les "élites", du désir d'indépendance de régions contre le pouvoir central... La liste peut être allongée ad libitum.

      Comme les Brexiters ou Frexiters actuels, il est facile de désigner des estomacs sans doute abusifs et demandant au moins une sérieuse mise au régime. Facile aussi  de se gausser de membres  parfois aveuglés par  des flatteries voire des mensonges. Sauf pour les partisans d'une révolution totale, l'avantage de la fable proposée est de remettre au centre la notion d'intérêt général.  On concèdera que celui-ci ne saurait faire l'impasse sur une amélioration de la justice sociale.

A la recherche de l'intérêt commun

   Dans Les Membres et l'Estomac (Livre III, 2) (1668), La Fontaine  débute classiquement par une histoire, celle d'un corps humain dont  l'estomac, Gaster, fait face à la fronde des membres.

"Je devais par la Royauté
Avoir commencé mon Ouvrage.
A la voir d'un certain côté,
Messer Gaster en est l'image.
S'il a quelque besoin, tout le corps s'en ressent.
De travailler pour lui les membres se lassant,
Chacun d'eux résolut de vivre en Gentilhomme,
Sans rien faire, alléguant l'exemple de Gaster.
Il faudrait, disaient-ils, sans nous qu'il vécût d'air.
Nous suons, nous peinons, comme bêtes de somme.
Et pour qui ? Pour lui seul ; nous n'en profitons pas :
Notre soin n'aboutit qu'à fournir ses repas.
Chômons, c'est un métier qu'il veut nous faire apprendre.
Ainsi dit, ainsi fait. Les mains cessent de prendre,
Les bras d'agir, les jambes de marcher.
Tous dirent à Gaster qu'il en allât chercher.
Ce leur fut une erreur dont ils se repentirent.
Bientôt les pauvres gens tombèrent en langueur ;
Il ne se forma plus de nouveau sang au cœur :
Chaque membre en souffrit, les forces se perdirent.
Par ce moyen, les mutins virent
Que celui qu'ils croyaient oisif et paresseux,
A l'intérêt commun contribuait plus qu'eux.

    La seconde partie de la fable établit un parllèle classique entre corps humain et corps social.

"Ceci peut s'appliquer à la grandeur Royale.
Elle reçoit et donne, et la chose est égale.
Tout travaille pour elle, et réciproquement
Tout tire d'elle l'aliment.
Elle fait subsister l'artisan de ses peines,
Enrichit le Marchand, gage le Magistrat,
Maintient le Laboureur, donne paie au soldat,
Distribue en cent lieux ses grâces souveraines,
Entretient seule tout l'Etat.
Ménénius le sut bien dire.
La Commune s'allait séparer du Sénat.
Les mécontents disaient qu'il avait tout l'Empire,
Le pouvoir, les trésors, l'honneur, la dignité ;
Au lieu que tout le mal était de leur côté,
Les tributs, les impôts, les fatigues de guerre.
Le peuple hors des murs était déjà posté,
La plupart s'en allaient chercher une autre terre,
Quand Ménénius leur fit voir
Qu'ils étaient aux membres semblables,
Et par cet apologue, insigne entre les Fables,
Les ramena dans leur devoir."

Publié dans Poésie, Société

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