Grains de sable d'hiver
"Vérité sortant du puits armée de son martinet pour châtier l'humanité", une allégorie de Jean-Léon Gérôme (1896)"
Ni sel ni poivre ni sucre car tout fond dans cette humidité constante de décembre. Le grain de sable, lui, résiste et grippe tous les rouages.
Le plus gros des grains de sable est sans conteste celui de l'impossible vérité puisque chacun accuse l'autre de mensonge, incompétence, enfumage et autres sympathiques qualifiants. Les chiffres seraient tous truqués, les journalistes tous "vendus", les responsables "illégitimes", les autres sauf moi tous égoïstes.
Comment s'y retrouver ?
- le triomphe du bobard.
Ici et là, on entend souvent parler des "fake news" et de leur poids dans la vie politique comme lors de la consultation pour ou contre le Brexit. A noter : la cadence suivie par M. Trump : 7,5 bobards en moyenne par jour selon The Washington Post.
- la "vérité italienne".
La définition nous est donnée par le journaliste Roberto Saviano."J’ai appris que ce que l’on appelle une vérité italienne, c’est quelque chose que tout le monde sait, qui est étalé à la vue de tous, mais dont personne ne parle : car si on la dénonçait, ce sont en premier lieu ceux qui sont exploités qui en paieraient les conséquences."
Le propos est illustré par l'exemple des ateliers clandestins qui travaillent pour de grandes marques de la mode. Le journaliste évoque ainsi "l’annonce de la découverte, par la police de Naples, de 43 ouvriers séquestrés dans une réserve fermée par une porte blindée, sans fenêtres ni toilettes". Et sur le modèle des poupées russes, cette première pièce dissimulait une cache où travaillaient 43 autres esclaves modernes.
- le "montage en épingle".
L'expression est ici utilisée pour relever l' exploitation d'un problème de société qui mérite d'être mis en lumière mais qui aboutit à la dissimulation d'autres problèmes fort graves.
Un exemple récent est celui des "féminicides". Le terme permet de désigner la mort d'une femme sous les coups de son conjoint, compagnon ou ex. En moyenne, une femme meurt tous les 3 jours en France, victime de ces coups. Entre les polémiques autour du choix du mot et le décompte des nouvelles victimes, certains s'interrogeant sur un possible nouveau record en 2019, on grossit un problème essentiel et on oublie d'autres décomptes tout aussi terribles.
Quelques exemples ? En France, un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups de ses parents ou de proche (rapport des inspections générales des affaires sociales, de la justice et de l’éducation). 10.000 adolescents se suicident chaque année avec une tentative toutes les 10 minutes dans notre pays.
Le choix de dresser des catégories facilite sans doute les études des spécialistes mais il fragmente les phénomènes de violence, laquelle demanderait une prise en compte globale. Pourquoi tant de violence physique, verbale dans une société développée ?