Babel est toujours là

Publié le par Océ

 Auschwitz III, Monowitz : l'usine de la Buna comparée à Babel par Primo Levi.

Auschwitz III, Monowitz : l'usine de la Buna comparée à Babel par Primo Levi.

  Les difficultés à parler la même langue  dans un pays ont pu faire sourire avec le post précédent.

  A plus grande échelle, on imagine l'enchaînement des drames humains  dont l'histoire nous donne de cruels exemples. On pensera aux  Bretons persécutés voire pire pendant la Grande Guerre. Le tort de ces paysans soudainement enlevés à leur Armorique ?  ne parler et comprendre que le breton.

   Dans  son ouvrage Si c'est un homme qui relate  son expérience  de l'univers concentrationnaire, Primo Levi s'arrête longuement sur la Buna, nom de l'usine de caoutchouc installée  au coeur  du camp  Auschwitz III, Monowitz.  Grâce à sa formation d'ingénieur,  Levi y a été envoyé et décrit un  univers  de laideur inquiétante que l'on retrouve parfois, toutes proportions gardées, dans les décors urbains d'Enki Bilal.

  "La Buna est aussi grande qu'une ville. Outre les cadres et les techniciens allemands, quarante mille étrangers y travaillent, et on y parle au total quinze à vingt langues. Tous les étrangers habitent dans les différents Lager qui entourent la Buna : le Lager des prisonniers de guerre anglais, le Lager des Ukrainiennes, le Lager des travailleurs volontaires français, et d'autres que nous ne connaissons pas. Notre propre Lager (Judenlager, Vernichtungslager, Kazett) fournit à lui seul dix mille travailleurs qui viennent de tous les pays d'Europe ; et nous, nous sommes les esclaves des esclaves, ceux à qui tout le monde peut commander, et notre nom est le numéro que nous portons tatoué sur le bras et cousu sur la poitrine.

   La Tour du Carbure, qui s'élève au centre de la Buna et dont le sommet est rarement visible au milieu du brouillard, c'est nous qui l'avons construite. Ses briques ont été appelées Ziegel, mattoni, tegula, cegli, kamenny, bricks, téglak, et c'est la haine qui les a cimentées ; la haine et la discorde, comme la Tour de Babel, et c'est le nom que nous lui avons donné : Babelturm, Bobelturm. En elle nous haïssons le rêve de grandeur insensée de nos maîtres, leur mépris de Dieu et des hommes, de nous autres hommes.

   Aujourd'hui encore comme dans l'antique légende, nous sentons tous, y compris les Allemands, qu'une malédiction, non pas transcendante et divine, mais immanente et historique, pèse sur cet insolent assemblage, fondé sur la confusion des langues et dressé comme un défi au ciel, comme un blasphème de pierre."

Lager = camp

   Pour mémoire, le texte de référence extrait de la Bible, livre de la Genèse : La tour de Babel

-11 Toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots.
     Après avoir quitté l'est, ils trouvèrent une plaine dans le pays de Shinear et s'y installèrent. Ils se dirent l'un à l'autre: «Allons ! Faisons des briques et cuisons-les au feu!» La brique leur servit de pierre, et le bitume de ciment. Ils dirent encore: «Allons! Construisons-nous une ville et une tour dont le sommet touche le ciel et faisons-nous un nom afin de ne pas être dispersés sur toute la surface de la terre.»
     L'Eternel descendit pour voir la ville et la tour que construisaient les hommes, et il dit: «Les voici qui forment un seul peuple et ont tous une même langue, et voilà ce qu'ils ont entrepris! Maintenant, rien ne les retiendra de faire tout ce qu'ils ont projeté. Allons! Descendons et là brouillons leur langage afin qu'ils ne se comprennent plus mutuellement.»
   L'Eternel les dispersa loin de là sur toute la surface de la terre. Alors ils arrêtèrent de construire la ville. C'est pourquoi on l'appela Babel: parce que c'est là que l'Eternel brouilla le langage de toute la terre et c'est de là qu'il les dispersa sur toute la surface de la terre.

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