"Destination : arbre"

Publié le par Océ

Coupez cet arbre que je ne saurais voir...

Coupez cet arbre que je ne saurais voir...

   Comme les marrons en automne, les chocolats à Noël, le muguet au 1er Mai, voici la polémique du jour à propos de l'épreuve de français en séries ES et S.  Dans la lignée des années précédentes, cette polémique a enfanté sa pétition spécifique : auteur inconnu (comment savoir que c'est une femme ?),  1991, époque inconnue  pour un lycéen de 2019 (rendez-nous  Ronsard, Lamartine, Hugo...avec leurs 8 ou 10 notes de vocabulaire, voire de "traductions"),  thème de l'arbre trop difficile...

  Et si on s'en tenait à la consigne de base, lire le texte pour lui-même, ce qu'il dit et comment il le dit, sans s'empêtrer dans des considérations savantes plus ou moins heureuses et plaquées sans nuances ?

Andrée Chédid, « Destination : arbre », Tant de corps et tant d’âme, 1991.

Destination : arbre

Parcourir l'Arbre
Se lier aux jardins
Se mêler aux forêts
Plonger au fond des terres
Pour renaître de l'argile

Peu à peu
S'affranchir des sols et des racines
Gravir lentement le fût
Envahir la charpente
Se greffer aux branchages

Puis         dans un éclat de feuilles1
Embrasser l'espace
Résister aux orages
Déchiffrer les soleils
Affronter jour et nuit

Évoquer ensuite
Au cœur d'une métropole
Un arbre         un seul
Enclos dans l'asphalte
Éloigné des jardins
Orphelin des forêts

Un arbre
Au tronc rêche
Aux branches taries
Aux feuilles longuement éteintes

S'unir à cette soif
Rejoindre cette retraite
Écouter ces appels

Sentir sous l'écorce
Captives mais invincibles
La montée des sèves
La pression des bourgeons
Semblables aux rêves tenaces
Qui fortifient nos vies

Cheminer d'arbre en arbre
Explorant l'éphémère
Aller d'arbre en arbre
Dépistant la durée.

1 Les espaces aux vers 11 et 18 sont un choix d’Andrée Chédid.

 
 

  A titre de comparaison, voici le poème de Prévert, "Arbres". L'auteur est nettement plus connu des lycéens car étudié en primaire et au collège. Voici un certain temps - lointain, certes- , il a même été donné aux épreuves du brevet des collèges. Aurait-il été plus "facile" à commenter  en 2019 avec sa forme à analyser, ses jeux sur les mots, sa petite musique douce-amère  ?

Prévert,  "Arbres" dans Histoires (1946)

En argot les hommes appellent les oreilles des feuilles

c'est dire comme ils sentent que les arbres connaissent la musique

mais la langue verte des arbres est un argot bien plus ancien

Qui peut savoir ce qu'ils disent lorsqu'ils parlent des humains

Les arbres parlent arbre comme les enfants parlent enfant

Quand un enfant de femme et d'homme adresse la parole à un arbre



l'arbre répond

l'enfant l'entend

Plus tard l'enfant

parle arboriculture

avec ses maîtres et ses parents

Il n'entend plus la voix des arbres

il n'entend plus leur chanson dans le vent

Pourtant parfois une petite fille pousse un cri de détresse dans un square de ciment armé d'herbe morne et de terre souillée
Est-ce... oh... est-ce la tristesse d'être abandonnée qui me fait crier au secours ou la crainte que vous m'oubliiez arbres de ma jeunesse ma jeunesse pour de vrai
Dans l'oasis du souvenir une source vient de jaillir est-ce pour me faire pleurer
J'étais si heureuse dans la foule la foule verte de la forêt avec la peur de me perdre et la crainte de me retrouver

N'oubliez pas votre petite amie arbres de ma forêt.

Publié dans Poésie

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