Don Juan et le bal des hypocrites

Publié le par Océ

Don Juan et le bal des hypocrites
Don Juan et le bal des hypocrites

    Accusations de fraude électorale aux USA, protestations publiques sur des parvis d'église,  démantèlement d'un camp spontané de migrants aux tentes identiques en plein Paris...l'actualité  offre ici  ou ailleurs bien des raisons de s'arrêter sur un mot, hypocrisie, et sur le fonctionnement de ce comportement aux effets si néfastes pour une société.

     Le terme semble démodé-forcément démodé- puisqu'il porte une couleur morale  hors de saison. Là où les plus anciens de nous diront facilement "tartuffe",  ou "faux-derche", (faux jeton, faux cul) en langue familière, les signataires de tribunes savante semblent préférer "instrumentalisation" ou, mieux encore, "taqiya".

     Nommer un comportement est une chose, en étudier le mécanisme en est une autre, nettement plus intéressante. C'est sous la plume de Molière que l'on en trouve une analyse  qui n'a rien perdu de sa lucidité cruelle.  A l'époque, l'auteur utilisait son personnage, Don Juan, pour régler  quelques comptes avec la censure activée par la cabale des dévots qui agglutinait vrais et faux croyants.

    Il faut prendre le temps de lire ce fameux exemple d'éloge paradoxal que constitue la tirade de Don Juan démontrant  pourquoi et comment l'hypocrisie devient une "vertu". Dans la scène signalée, le "grand seigneur méchant homme" qu'est Don Juan se trouve face à son valet, Sganarelle.

Don Juan-   "Il n’y a plus de honte maintenant à cela : l’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. Le personnage d’homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu’on puisse jouer aujourd’hui, et la profession d’hypocrite a de merveilleux avantages. C’est un art de qui l’imposture est toujours respectée ; et quoiqu’on la découvre, on n’ose rien dire contre elle. Tous les autres vices des hommes sont exposés à la censure et chacun a la liberté de les attaquer hautement, mais l’hypocrisie est un vice privilégié, qui, de sa main, ferme la bouche à tout le monde, et jouit en repos d’une impunité souveraine. On lie, à force de grimaces, une société étroite avec tous les gens du parti. Qui en choque un, se les jette tous sur les bras ; et ceux que l’on sait même agir de bonne foi là-dessus, et que chacun connaît pour être véritablement touchés, ceux là, dis-je, sont toujours les dupes des autres ; ils donnent hautement dans le panneau des grimaciers, et appuient aveuglément les singes de leurs actions. Combien crois-tu que j’en connaisse qui, par ce stratagème, ont rhabillé adroitement les désordres de leur jeunesse, qui se sont fait un bouclier du manteau de la religion, et, sous cet habit respecté, ont la permission d’être les plus méchants hommes du monde ? On a beau savoir leurs intrigues et les connaître pour ce qu’ils sont, ils ne laissent pas pour cela d’être en crédit parmi les gens ; et quelque baissement de tête, un soupir mortifié, et deux roulements d’yeux rajustent dans le monde tout ce qu’ils peuvent faire. C’est sous cet abri favorable que je veux me sauver, et mettre en sûreté mes affaires. Je ne quitterai point mes douces habitudes ; mais j’aurai soin de me cacher et me divertirai à petit bruit. Que si je viens à être découvert, je verrai, sans me remuer, prendre mes intérêts à toute la cabale, et je serai défendu par elle envers et contre tous. Enfin c’est là le vrai moyen de faire impunément tout ce que je voudrai. Je m’érigerai en censeur des actions d’autrui, jugerai mal de tout le monde, et n’aurai bonne opinion que de moi. Dès qu’une fois on m’aura choqué tant soit peu, je ne pardonnerai jamais et garderai tout doucement une haine irréconciliable. Je ferai le vengeur des intérêts du Ciel, et, sous ce prétexte commode, je pousserai mes ennemis, je les accuserai d’impiété, et saurai déchaîner contre eux des zélés indiscrets, qui, sans connaissance de cause, crieront en public contre eux, qui les accableront d’injures, et les damneront hautement de leur autorité privée. C’est ainsi qu’il faut profiter des faiblesses des hommes, et qu’un sage esprit s’accommode aux vices de son siècle."

                                                       Molière, Dom Juan, V, 2

-tirade donnée en intégralité pour la clarté de la démonstration.

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