Fluctuat nec mergitur

Publié le par Océ

 L'humour pour soigner l'ethnocentrisme. L'humour pour soigner l'ethnocentrisme.

L'humour pour soigner l'ethnocentrisme.

   A écouter les oiseaux de mauvais augure, la France serait quasiment en danger de disparition  en raison de l'économie mondialisée, de la réglementation forcément tatillonne de Bruxelles, des hordes forcément barbares à nos portes... Les chantres actuels du patriotisme habillé couleur Frexit, nouveau "nouveau franc", adeptes de frontières hermétiques à l'heure d'internet nous chantent une bien curieuse chanson supposée nous réveiller alors qu'elle endort la réflexion.

    Ne vaut-il pas mieux préparer l'héritage, placer, investir, parier sur l'avenir ? La création de l'Onu, le développement de l'OMS, de l'Unesco, le succès d'Erasmus... permettent d'espérer. Oui, le pays change, évolue mais est-ce forcément néfaste ?

    N'est-on pas, dans les soubresauts et convulsions, en train de trouver des réponses à un problème  posé par Paul Valéry dans des circonstances assurément plus douloureuses ?  Son pessimisme se justifiait par le désastre général de la Première guerre mondiale  et l'auteur ignorait alors les ravages à venir de l'idéologie nazie. Même si le présent corrige  l'inquiétude amère de l'auteur, il convient toujours de se souvenir de son texte :

   «Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles.

    Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d’empires coulés à pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins ; descendus au fond inexplorable des siècles avec leurs dieux et leurs lois, leurs académies et leurs sciences pures et appliquées, avec leurs grammaires, leurs dictionnaires, leurs classiques, leurs romantiques et leurs symbolistes, leurs critiques et les critiques de leurs critiques. Nous savions bien que toute la terre apparente est faite de cendres, que la cendre signifie quelque chose. Nous apercevions à travers l’épaisseur de l’histoire, les fantômes d’immenses navires qui furent chargés de richesse et d’esprit. Nous ne pouvions pas les compter. Mais ces naufrages, après tout, n’étaient pas notre affaire.

   Élam, Ninive, Babylone étaient de beaux noms vagues, et la ruine totale de ces mondes avait aussi peu de signification pour nous que leur existence même. Mais France, Angleterre, Russie... ce seraient aussi de beaux noms. Lusitania aussi est un beau nom. Et nous voyons maintenant que l’abîme de l’histoire est assez grand pour tout le monde. Nous sentons qu’une civilisation a la même fragilité qu’une vie. Les circonstances qui enverraient les œuvres de Keats et celles de Baudelaire rejoindre les oeuvres de Ménandre ne sont plus du tout inconcevables : elles sont dans les journaux… »

     Paul Valéry, «La Crise de l’Esprit», NRF 1919, repris en volume dans Variété  (Gallimard, 1924), réédition Pléiade, Œuvres, I, p. 988 à 991.

    

 

 

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