Regards croisés sur temps d'hiver

Publié le par Océ

"La Pie" dans un paysage de neige  signé Claude Monet ( Musée d'Orsay).

"La Pie" dans un paysage de neige signé Claude Monet ( Musée d'Orsay).

  •    Neige et petits bonheurs  d'enfance avec les souvenirs de Colette :

    Il y avait dans ce temps-là de grands hivers, de brûlants étés. J'ai connu, depuis, des étés dont la couleur, si je ferme les yeux, est celle de la terre ocreuse, fendillée entre les tiges du blé et sous la géante ombelle du panais sauvage, celle de la mer grise ou bleue. Mais aucun été, sauf ceux de mon enfance, ne commémore le géranium écarlate et la hampe enflammée des digitales. Aucun hiver n'est plus d'un blanc pur à la base d'un ciel bourré de nues ardoisées, qui présageaient une tempête de flocons plus épais, puis un dégel illuminé de mille gouttes d'eau et de bourgeons lancéolés… Ce ciel pesait sur le toit chargé de neige des greniers à fourrages, le noyer nu, la girouette, et pliait les oreilles des chattes… La calme et verticale chute de neige devenait oblique, un faible ronflement de mer lointaine se levait sur ma tête encapuchonnée, tandis que j'arpentais le jardin, happant la neige volante… Avertie par ses antennes, ma mère s'avançait sur la terrasse, goûtait le temps, me jetait un cri:
– La bourrasque d'Ouest ! Cours ! Ferme les lucarnes du grenier !… La porte de la remise aux voitures !… Et la fenêtre de la chambre du fond !
     Mousse exalté du navire natal, je m'élançais, claquant des sabots, enthousiasmée si du fond de la mêlée blanche et bleu noir, sifflante, un vif éclair, un bref roulement de foudre, enfants d'Ouest et de février, comblaient tous deux un des abîmes du ciel… Je tâchais de trembler, de croire à la fin du monde. Mais dans le pire du fracas ma mère, l'œil sur une grosse loupe cerclée de cuivre, s'émerveillait, comptant les cristaux ramifiés d'une poignée de neige, qu'elle venait de cueillir aux mains même de l'Ouest rué sur notre jardin…

 

                                                  Extrait de l'ouvrage autobiographique de Colette, Sido (1930)

 

  •    Des formes du malheur
Dessins de Chappatte puis de Delambre pour "Le Canard enchaîné" (voir d'autres caricatures sur le site https://www.cartooningforpeace.org/).
Dessins de Chappatte puis de Delambre pour "Le Canard enchaîné" (voir d'autres caricatures sur le site https://www.cartooningforpeace.org/).

Dessins de Chappatte puis de Delambre pour "Le Canard enchaîné" (voir d'autres caricatures sur le site https://www.cartooningforpeace.org/).

Guy de MAUPASSANT :

                      Nuit de neige
La grande plaine est blanche, immobile et sans voix.
Pas un bruit, pas un son ; toute vie est éteinte.
Mais on entend parfois, comme une morne plainte,
Quelque chien sans abri qui hurle au coin d'un bois.

Plus de chansons dans l'air, sous nos pieds plus de chaumes.
L'hiver s'est abattu sur toute floraison ;
Des arbres dépouillés dressent à l'horizon
Leurs squelettes blanchis ainsi que des fantômes.

La lune est large et pâle et semble se hâter.
On dirait qu'elle a froid dans le grand ciel austère.
De son morne regard elle parcourt la terre,
Et, voyant tout désert, s'empresse à nous quitter.

Et froids tombent sur nous les rayons qu'elle darde,
Fantastiques lueurs qu'elle s'en va semant ;
Et la neige s'éclaire au loin, sinistrement,
Aux étranges reflets de la clarté blafarde.

Oh ! la terrible nuit pour les petits oiseaux !
Un vent glacé frissonne et court par les allées ;
Eux, n'ayant plus l'asile ombragé des berceaux,
Ne peuvent pas dormir sur leurs pattes gelées.

Dans les grands arbres nus que couvre le verglas
Ils sont là, tout tremblants, sans rien qui les protège ;
De leur œil inquiet ils regardent la neige,
Attendant jusqu'au jour la nuit qui ne vient pas.

      A privilégier : une rare version audio,  discrètement  mais vraiment respectueuse de la versification et de ses règles élémentaires qui plaira  aussi aux musiciens attachés  au sens de la mesure : https://www.youtube.com/watch?v=T4HheNW1ttA

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article